L'objet d'étude « Littérature d'idées » possède des spécificités qu'il peut être utile de connaître et de prendre en compte dans la rédaction du commentaire.
Précisons d'emblée que les repères qui suivent :
- ne sont pas à appliquer comme une grille d'analyse mais peuvent être mobilisés éventuellement ;
- sont donnés à ce stade du manuel mais peuvent être utiles à n’importe quel moment du travail d’analyse d'un texte.
Voici quelques questions à se poser pour aborder un texte lié à l'objet d'étude « Littérature d'idées ».
1. Quels sont vos ressentis de lectrice et de lecteur ?
C'est d'abord votre lecture personnelle que doit révéler le commentaire.
2. Pour aller plus loin dans votre analyse du texte, vous pouvez vous demander :
- Quelle est l’idée principale défendue par le texte (la thèse) et quelles sont les idées (qui peuvent être explicites ou implicites dans le texte) auxquelles elle s’oppose ?
Par exemple : lorsque Simone Veil présente le 26 novembre 1974 devant l’Assemblée nationale le projet de loi sur la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), elle défend une thèse claire : il faut changer la loi qui interdit l'avortement. Elle anticipe les arguments adverses en les formulant et en y répondant : « Pourtant, d'aucuns s'interrogent encore : une nouvelle loi est-elle vraiment nécessaire ? Pour quelques-uns, les choses sont simples : il existe une loi répressive, il n'y a qu'à l'appliquer. D'autres se demandent pourquoi le Parlement devrait trancher maintenant ces problèmes : nul n'ignore que depuis l'origine, et particulièrement depuis le début du siècle, la loi a toujours été rigoureuse, mais qu'elle n'a été que peu appliquée ». Elle anticipe également l'argument opposé relatif aux avortements de « convenance » : « aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame ».
- Quels sont les arguments successifs qui vont venir alors étayer cette thèse ?
Dans le discours de Simone Veil, on peut relever : le nombre d’avortements clandestins (et donc dangereux) très élevé ; les inégalités sociales qui découlent du vide juridique actuel (les femmes les plus riches peuvent aller avorter à l’étranger). - Quels sont les mouvements du texte (sa progression) ?
3. Par ailleurs, votre commentaire peut tirer profit de questionnements supplémentaires :
- L’argumentation est-elle directe ou indirecte ?
- Quelle est la forme argumentative adoptée ? - - Argumentation directe : essai, préface, article, discours, dialogue d'idées, lettre ouverte, manifeste, maximes, pamphlet, traité, etc.
- Argumentation indirecte : fable, conte philosophique, parabole, utopie, extrait de roman à thèse, etc.
- Est-ce un éloge ou un blâme ? : plaidoyer, oraison funèbre, discours officiel, critique laudative, etc. / Réquisitoire, satire, pamphlet, critique, polémique, etc.
- Le texte est-il destiné à convaincre ou à persuader ? Quels moyens sont employés ?
- Le texte est-il destiné à délibérer ? Quels moyens sont employés ?
- Quelle est la stratégie argumentative ?
- Quels sont les types d'arguments ? : recours aux faits, à l'expérience, argument d'autorité, argument ad hominem, tautologie, appui sur des valeurs, argument par la cause/conséquence, etc.
Par exemple : dans La Critique de L’École des femmes (1663), Molière fait formuler au Marquis un jugement hostile à la pièce L’École des femmes : « Elle est détestable parce qu'elle est détestable ». La tautologie suffit à ridiculiser le Marquis bien en peine pour argumenter contre la pièce.
Autre exemple : au début de Dom Juan (1665), c'est un argument d'autorité que brandit Sganarelle, le valet du personnage éponyme de la pièce de Molière : « Quoi que puisse dire Aristote, et toute la philosophie, il n’est rien d’égal au tabac ». Cependant les lecteurs et spectateurs perçoivent derrière l'anachronisme (le philosophe grec ne pouvait pas connaître le tabac) le caractère ridiculement pédant du personnage.
- Quels sont les types de raisonnement ? : recours au raisonnement par induction, par déduction, par syllogisme, par sophisme, par analogie, par l'absurde, par concession...
Par exemple : à la scène 16 de l'acte III du Mariage de Figaro (1784) de Beaumarchais, la domestique Marceline concède avoir commis des erreurs de jeunesse en se laissant séduire par les promesses de mariage du médecin Bartholo : « MARCELINE, s’échauffant par degrés. Oui, déplorable, et plus qu’on ne croit ! Je n’entends pas nier mes fautes ; ce jour les a trop bien prouvées ! mais qu’il est dur de les expier1 après trente ans d’une vie modeste ! ». La concession porte sur la culpabilité de Marceline mais c'est pour mieux retourner l'accusation contre les hommes : « Mais dans l’âge des illusions, de l’inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent pendant que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d’ennemis rassemblés ? »
1. Expier : Réparer ses erreurs en subissant une souffrance / payer les conséquences de ses erreurs.
- Quelle est l'énonciation ? Quel usage est fait des pronoms personnels ? Interpellations et apostrophes ?
- Présence d'une morale ou d'un enseignement ?
- Quels sont les registres (ou tonalités) mobilisés ? : satirique, comique, polémique, etc.
Pour chacune de ces questions, il convient de s’interroger également sur l’intérêt des choix effectués par l'autrice ou l'auteur.